En juin 2004, à l’occasion du 60ème anniversaire du débarquement des troupes alliées une plaquette du souvenir a été réalisée et éditée sous l’impulsion de Michel LEFONDRÉ, ancien Maire de Rosel.

La voici dans son intégralité pour, nous l’espérons, le plus grand plaisir des personnes férues d’histoire.

LES ANCIENS DE ROSEL SE SOUVIENNENT
Avant Propos

II y a soixante ans, le 11 juin 1944 au plus tard pour le bourg de Rosel, le 8 juillet 1944 pour le hameau de Gruchy, le territoire communal connaissait la joie de sa libération par les armées alliées, en l’occurrence les soldats canadiens. II n’était pas concevable, à mes yeux, que ce soixantième anniversaire ne donne lieu à aucune traduction dans notre commune même si celle-ci n’a pas été un haut lieu de l’histoire du débarquement. En 1994, pour le cinquantième anniversaire, le choix avait été fait de donner la parole à celles et ceux qui avaient vécu ces moments. Lors d’une soirée-souvenir, organisée dans la propriété de M. LEFEVRE à Gruchy, plusieurs personnes avaient témoigné des événements vécus en juin 1944 et des conditions de vie de cette période. Et de nombreux habitants actuels de Rosel avaient découvert, à cette occasion, l’histoire très particulière des habitants de Gruchy en 1944, ayant vécu dans les caves du manoir de M. LEFEVRE pendant plusieurs semaines sous les bombes et les tirs d’artillerie, avant d’être, pour les derniers, évacués le 4 juillet 1944. La visite qui pouvait être faite de ces caves – qui subsistent – suffisait à comprendre les conditions plus que difficiles qu’avaient connues les adultes et les enfants réfugiés dans ces lieux.

C’est ce même thème du témoignage et les souvenirs des habitants de l’époque qui a été retenu pour marquer le soixantième anniversaire du débarquement. Ne souhaitant pas refaire une manifestation identique à celle de 1994, il a été choisi de recueillir les témoignages écrits des personnes ayant vécu ce mois de juin 1944 et ayant gardé des liens marqués avec la commune. C’est ce recueil de témoignages et souvenirs sur le 6 juin 1944 et les jours suivants qui est présenté, permettant ainsi de garder une trace écrite du vécu individuel des uns et des autres. Car, ainsi que l’énonce un adage célèbre, « les paroles passent, les écrits restent » et, bien que fort modeste, ce recueil pourra intéresser, peut-­être, les générations à venir…

Comme on pourra le constater, tes souvenirs individuels, s’ils comportent logiquement des éléments communs, sont loin d’être strictement identiques. Cela tient, tout d’abord, à ce que les habitants du bourg et ceux de Gruchy n’ont pas vécu les mêmes évènements. En effet, entre le 7 juin et le 8 juillet 1944, la ligne de front passait entre les deux secteurs et coupait le territoire communal en deux. C’est d’ailleurs pourquoi il nous a semblé logique et nécessaire de regrouper les témoignages sur cette base. Mais cela tient également au fait qu’à cette époque les familles vivaient relativement repliées sur leur habitation et leur environnement immédiat et les circonstances propres de cette période ne poussaient pas à se déplacer même à l’intérieur de la commune. Le résultat pratique est que ce qu’ont vu certains est demeuré ignoré par d’autres. En outre, comme chacun d’entre nous le sait, notre mémoire est sélective…

Ce recueil ne prétend pas reconstituer de façon précise les événements s’étant déroulés sur le territoire de Rosel au moment du débarquement. II s’est voulu un recueil de souvenirs personnels, partiellement différents les uns des autres, tels qu’ils subsistent 60 ans plus tard. Cette modeste contribution aux manifestations du soixantième anniversaire n’a été possible que grâce à l’étroite collaboration de toutes les personnes interviewées et à la bonne volonté des quelques interviewers : qu’ils en soient toutes et tous vivement remerciés.

Michel LEFONDRE Maire de ROSEL

Alice BUHOURS née NIGAIZE
Avait 22 ans en 1944 Habitait une ferme sise au 5 rue Sainte Anne à Gruchy

Le 6 juin, je suis allée travailler à la ferme « CATHERINE » située près de la propriété des Demoiselles LE RICQUE. Le bruit des canons s’intensifiait et vers 16h, M. CATHERINE m’apprit que le débarquement avait eu lieu. C’était l’heure de la collation que j’ai refusée. J’ai enfourché mon vélo et suis repartie vivement chez mes parents qui habitaient une petite ferme à Gruchy.

Ce soir là, nous avons dormi, ou plutôt, nous nous sommes réfugiés dans la tranchée creusée par mon père et dès le lendemain nous avons rejoint le groupe de personnes qui a vécu dans les caves de la ferme de M. LEFEVRE jusqu’au 4 juillet, date de départ pour l’exode.

Dans cette cave, nous avons vécu des moments très difficiles et nous avons eu de grandes frayeurs. Nous dormions sur la paille, nous mangions peu (pommes de terre, bouillie…). Nous en sommes sortis fatigués, amaigris et couverts de vermine.

Le 4 juillet, nous avons quitté notre cave. Il fallait partir sinon c’était la mort. De Gruchy à Caen, notre cheval qui avait les tendons d’une patte sectionnés nous a suivis, peinant à marcher : il saignait, il souffrait, je souffrais avec lui tant je l’aimais.

Du 4 au 26 juillet, nous avons marché, fuyant l’ennemi, faisant des haltes, dormant dans des granges sur la paille. Je me souviens avoir dormi une nuit dans un lit. C’était extraordinaire. Nous avons reçu un accueil très chaleureux mais à notre départ, j’avais honte. Nous avions des poux. Qu’allait donc trouver notre hôtesse après notre départ ? Nous marchions, ampoules aux pieds. Nous avions parfois la chance de monter sur une charrette, une vachère, et c’est ainsi que 22 jours plus tard, le 26 juillet, nous arrivions à Saint Martin du Fouilloux dans les Deux Sèvres où nous avons été reçus les bras grands ouverts. Je m’y étais fait des amies. Je faisais de la couture dans les familles tandis que mon père avait été embauché à la DDE.

Cet exode a duré 11 mois. Nous avons toujours gardé de bonnes relations avec notre famille d’accueil.

René GROSMESNIL
Avait 8 ans en 1944 Habitait à Gruchy à l’emplacement actuel du 2 Rue Sainte Anne

Je n’avais que 8 ans en 1944 et je ne garde que peu de souvenirs directs du 6 juin et des jours suivants. Toutefois, j’ai gardé en mémoire beaucoup d’éléments, de faits, d’histoires que j’ai entendus évoquer et raconter dans ma famille plusieurs années plus tard. S’agissant du 6 juin, j’ai le vague souvenir d’un réveil dans la nuit finissante pour aller dans la tranchée familiale creusée par mes grands-parents. Par contre, je ne me souviens pas particulièrement des combats du 7 juin sur Authie et Buron. Il est vrai que nous habitions à l’autre bout de Gruchy par rapport à André GUILLOT et cette distance de quelques centaines de mètres suffit à expliquer une perception différente à une époque où chacun restait limité dans ses déplacements et ses horizons. De même, je n’ai aucun souvenir sur des rencontres, discussions ou conversations avant et après le 6 juin entre habitants de Gruchy mais, à l’époque, un enfant de 8 ans n’était pas mêlé aux discussions entre adultes.

Le fait personnel et familial qui demeure le plus marqué dans ma mémoire a concerné mon grand-père. Celui-ci ayant résisté à un soldat SS qui voulait lui prendre sa montre, ce SS l’avait menacé en lui mettant le canon de son révolver sur la poitrine. Ma grand-mère avait eu une très grande peur et c’est à la suite de cela que la famille a rejoint le reste de la population dans les caves du manoir de M. LEFEVRE. Car jusqu’à cet incident, dont je ne sais pas la date exacte, nous étions restés dans notre maison en ayant recours à la tranchée pour nous protéger.

André GUILLOT
Avait 11 ans et demi en 1944 Habitait la ferme sise 18 rue Sainte Anne à Gruchy

Dans la nuit du 5 au 6 juin, j’ai été réveillé, ainsi que mes parents, par le bruit des bombardements. Nous sommes montés dans le grenier et nous avons vu à la fois les lueurs et rougeoiements du ciel à la fois sur Caen et vers la côte. Mes parents ont compris tout de suite que c’était autre chose qu’un bombardement sectoriel et que c’était le débarquement. Je n’ai aucun souvenir – mais j’étais encore un enfant – qu’il ait été évoqué dans la famille la possibilité que le débarquement ait lieu en Normandie. Tout au long de la journée du 6 juin, je ne me rappelle pas d’activités ou de manifestations particulières à Gruchy.

Le 7 juin, dans la matinée, nous avons vu l’avancée des soldats canadiens le long de la route de Buron à Authie. Comme nous les regardions avancer en direction d’Authie vers midi, une rafale de fusil mitrailleur est tombée devant nous. Arrivés dans la cave pour nous mettre à l’abri, un obus est tombé sur le toit, des tuiles me sont tombées dessus et nous sommes allés à la cuisine pour laver ma blessure. Au même moment, plusieurs obus tirés contre l’artillerie canadienne sont tombés dans la cour et les éclats passant par la porte ont blessé mon frère Jean au pied assez gravement. Une personne lui a ensuite fait un garrot. Nous avons réussi à nous réfugier dans une tranchée qui avait été creusée dans le jardin et où nous avons été bloqués du fait des tirs d’obus, d’artillerie et de chars. Une petite accalmie dans les combats s’est produite autour de 16h30 mais elle n’a pas été très longue et les tirs allemands ont repris avec virulence. Les soldats canadiens ont été obligés de reculer, d’abandonner Authie et partiellement Buron : deux d’entre eux ont traversé notre jardin mais, malgré les demandes de mes parents, ont dit qu’ils n’avaient pas le temps de soigner mon frère et ont continué leur retraite. Et peu après, un char allemand s’est positionné dans notre jardin, en partie sur notre tranchée, ce qui nous a conduit à quitter notre ferme pour rentrer plus à l’intérieur de Gruchy.

La famille s’est d’abord réfugiée chez M. et Mme DELAFONTAINE où nous nous sommes installés pour la nuit dans leur tranchée avec également la famille LEDUC. A partir du lendemain, 8 juin, nous avons logé, comme une bonne partie des habitants de Gruchy, dans les deux caves du manoir de M. et Mme LEFEVRE (actuellement 4 rue Sainte Anne) où nous sommes restés jusqu’au début juillet.

Dans ma mémoire, les évènements qui m’ont le plus marqué sont ceux de cette journée de bataille du 7 juin et cette impression d’avoir été « au centre » de très violents combats. Le bruit des tirs d’artillerie, des tirs de chars, des bombardements, des mitraillades avec les éclats d’obus tombant sur la maison, tout ça est imprégné dans ma mémoire. Et avec, bien sûr, le souvenir des dégâts dans la maison, de la blessure de mon frère Jean et des peurs que nous avons eues toute cette journée.

Jean GUILLOT
Avait 9 ans en 1944 Habitait la ferme sise 18 rue Sainte Anne

Le 6 juin (il me semble) le ciel était rempli d’avions qui tournaient dans tous les sens. Plusieurs sont tombés.

Pour moi, le débarquement a été une réalité quand j’ai aperçu les troupes et véhicules militaires canadiens sur la route entre Villons les Buissons et Buron le matin du 7 juin.

En fin de matinée alors que nous étions dans la cuisine, les tirs ont commencé. Un obus est tombé dans le jardin ou dans la cour. C’est à ce moment là que j’ai été touché sérieusement à la cheville droite par un éclat. Je n’ai pratiquement rien senti, seulement une perte d’équilibre. Mon pied pendait lamentablement. Un éclat a légèrement touché mon frère Louis au pied.

Mes parents ont compris que nous étions en danger. Après un pansement rapide, mon père m’a pris sur son dos et toute la famille est allée se réfugier dans la tranchée creusée quelques jours plus tôt.

Très vite des soldats canadiens sont passés au bout de la tranchée et nous ont dit de ne pas rester là. En effet, peu de temps après, un char allemand est passé sur l’arrière de notre refuge. Porté par mon père, nous sommes partis dans le village. Un cheval et une vache gisaient dans notre herbage. Je vois encore les balles traçantes tirées par les allemands. Nous nous sommes rendus à l’autre bout du village chez la famille NIGAIZE (la soeur de mon père) qui, en se serrant un peu nous a accueillis dans sa tranchée. Quelques heures plus tard, tout le village s’est retrouvé dans la cave du manoir (seul abri souterrain) de la famille LEFEVRE, au milieu du village.

Là, Monsieur DESERT – réfugié de Caen – qui avait quelques connaissances de secourisme, m’a soigné en me plaçant une attelle. Je me plaignais qu’il y avait des clous sur sa planche. En réalité, c’était des éclats d’os qui me piquaient les chairs.

Au bout de trois jours, un semblant d’accalmie. A bord d’une bétaillère tirée par un cheval, un chiffon blanc au bout d’une perche, mon père nous a conduits (le père LEDUC et moi) jusqu’à Caen, au « Bon Sauveur », transformé en hôpital. Assez rapidement, par crainte de la gangrène, j’ai été amputé. Quelques jours après, cet établissement a été bombardé et commençait à prendre feu. C’est alors que nous avons été évacués sur Bayeux par des camions canadiens.

Ma famille a été évacuée vers l’Orne. Mes oncle et tante CRENN (soeur de ma mère) qui avaient évacué dans la région de Bayeux, ont appris que je m’y trouvais et m’ont ramené à Buron après la libération de Caen.

Louis GUILLOT
Avait 3 ans et demi en 1944 Habitait la ferme sise 18 rue Sainte Anne

Je n’avais que 3 ans et demi et donc je n’ai aucun souvenir de dates précises, je revois quelques évènements qui m’ont marqué.

Nous habitions à l’époque la dernière ferme à la sortie de Gruchy en allant sur Caen là où mon frère André a vécu pendant de longues années. Notre père avait fait une tranchée au bout du jardin, je revois mon frère Jean sur une couverture dans cette tranchée, il venait d’être blessé par un éclat d’obus dans la maison, moi-même avais eu quelques brûlures aux pieds, j’étais à côté de lui, nous nous tenions par la main. Un jour de bombardements, ma grand-mère était dehors, je la suivais. Pour nous protéger, nous nous sommes réfugiés sous un cerisier, une couverture sur la tête ! ! !

Je me souviens aussi avoir vécu dans la cave chez M. LEFEVRE et avoir vu des soldats allemands tirant à coups de fusil dans le puits qui était dans la cour pour nous empêcher de prendre de l’eau.

Jeanne JEANNETTE née GUILBERT
Avait 18 ans en 1944 Beaux-parents habitaient une maison sise entre 6 et 8 rue Sainte Anne

Je savais, mon mari et toutes les personnes de mon entourage avaient également connaissance par les messages de la radio anglaise et le bouche-à-oreille, qu’un débarquement des armées alliées était en préparation. Alors que j’habitais et travaillais à Epron, ce matin du 6 juin 1944, j’ai entendu des grondements semblables à un orage mais, très rapidement, j’ai compris qu’il s’agissait de tirs d’artillerie et que ces bruits venaient de la côte. Comme j’ai également vu des lueurs à l’horizon dans cette direction, ces divers éléments m’ont tout de suite persuadée qu’il se passait quelque chose d’exceptionnel.

Devant cette situation, j’ai décidé de rejoindre mes deux soeurs qui habitaient à Lebisey. Empruntant un chemin de traverse, je me suis retrouvée devant un drame. Devant moi, une femme poussant un landau dans lequel se trouvaient deux très jeunes enfants venait d’être décapitée par un obus. Son corps était resté debout et ses bras demeuraient crispés sur le landau : devant cet horrible spectacle, je me suis retournée et j’ai vomi. Et ces images insupportables sont restées gravées intactes dans ma mémoire.

Dans la journée du 6 juin, mon mari et moi avons décidé de rejoindre Gruchy où habitaient mes beaux­parents, pensant que ce simple hameau nous offrirait plus de sécurité. Dès la fin de la journée du 6 juin, je me souviens avoir aperçu quelques soldats dont les tenues, différentes de celles des allemands, m’ont convaincu qu’il s’agissait de soldats anglais ou canadiens. A ce moment là, j’ai pensé que les libérateurs étaient déjà présents sur Gruchy.

Le soir du 6 juin, j’ai dormi dans le creux d’un fossé, non loin des habitations, craignant d’être victime de bombardements atteignant les maisons. Et, à l’aube du 7 juin, je garde le souvenir d’une végétation de couleur rousse, telles des feuilles d’automne, ceci étant dû, bien sûr, à la chaleur dégagée par les bombardements.

Ensuite, pendant plusieurs semaines, je me suis réfugiée dans les caves du manoir de M. LEFEVRE comme l’ensemble des habitants du village. Mais le 4 juillet, sur injonction des soldats allemands, nous avons quitté Gruchy pour gagner Caen. Personnellement, j’ai pu revenir à Blainville dès le mois de septembre 1944.

Germaine PORET née HEBERT
Avait 12 ans en 1944 Habitait la ferme sise 16 chemin du Ferrage à Gruchy

Dans la nuit du 5 au 6 juin, c’est à dire du lundi au mardi, j’ai entendu les bombardements et vu un ciel complètement éclairé.

Le matin du 6 juin, en compagnie de ma mère, ma grand-mère, ma tante, Simone HUARD et Raymond POUCHIN, nous sommes allés nous réfugier le long du mur, chemin du Ferrage. Je pense, maintenant, que nous étions peu protégés à cet endroit. En début d’après midi, des réfugiés de Caen sont arrivés à la ferme (familles DESERT et PRIEUR). Dans l’après-midi, suite à un obus tombé sur l’écurie, nous sommes allés nous réfugier dans les caves de M. LEFEVRE : nous étions les premiers sur place.

Dans la cave, je suis restée une semaine, prostrée, en compagnie de Mme JEANNETTE. J’étais terrorisée et refusais de sortir. Nous sommes restés 28 jours dans la cave. Quelques souvenirs me reviennent :

– avoir mangé une bouillie dans laquelle étaient tombés des morceaux de tuile (cette bouillie était fabriquée dans un chaudron à l’extérieur et lors d’un bombardement, un obus est tombé sur le toit projetant les tuiles dans le chaudron).
– avoir mangé une mixture à base de crème et sucre (réservée aux enfants)
– ne pas avoir pu manger les artichauts du jardin, ceux-ci ayant un goût de poudre de canon.

Le 4 juillet, nous avons quitté 1a cave, la bataille n’était pas finie. Le souvenir que j’ai gardé de l’exode est un souvenir agréable. Nous partions tous, enfants assis sur les charrettes (les familles CAPELLE, DOLLEY, NIGAIZE, GROSMESNIL, Mademoiselle LOUISE, la grand-mère GUILLOT). La famille JEANNETTE nous a rejoint plus tard. Nous sommes allés jusqu’à Angers. Les autres familles sont allées plus loin.

Simone POUCHIN née HUARD – Raymond POUCHIN
Avaient 23 ans en 1944 Habitaient la ferme sise 16 chemin du Ferrage

Le 6 juin à 5 heures du matin, nous fûmes réveillés par des grondements. Le temps de la veille n’annonçait pas d’orage. En ouvrant la fenêtre, nous avons vu le ciel rempli de petits papiers argentés, dorés. Nous avons appris plus tard qu’ils servaient à brouiller les radars des allemands. Les grondements venaient de la côte, on pouvait apercevoir les rougeurs des bombardements. Pour nous, c’était évident que le débarquement avait commencé.

Bien entendu, cet événement tant attendu fut le seul sujet de conversation de tout le village. Nous étions contents, mais sans vraiment nous rendre compte de la situation. La peur était tout de même là. L’après-midi, 2 ou 3 allemands sont passés. Ils nous ont demandé de l’eau. L’un deux nous a demandé si nous avions un cheval ou un vélo. Bien sûr, nous n’avions aucun des deux. Ils sont donc repartis. Une vingtaine de réfugiés venant de Caen est arrivée chez nous. Le reste de la journée s’est passé presque comme une journée normale. Nous nous sommes occupés des bêtes et avons passé la soirée avec les réfugiés.

La journée du 7 juin fut pour nous terrible. Les allemands sont arrivés ce jour là dans le village. Les bombardements furent très importants. Rester chez nous était devenu impossible. Le soir du 7 juin, la famille QUESNEL et nous sommes allés nous installer dans les caves du manoir de M. LEFEVRE. Au bout de 8 jours, tout le village était venu se réfugier avec nous. Nous y sommes restés pendant un mois. La vie dans la cave bien sûr fut très difficile, faite de ” hauts et de bas », de joie et de tristesse. A un moment, nous étions 112 personnes. Vers le 17 juin, un bus venant de Caen est venu chercher une cinquantaine d’entre elles. Toutes sont parties ensuite en exode vers différentes régions.

Le 4 juillet fut une journée encore plus terrible que celle du 7 juin. Les bombardements étaient tellement nombreux que nous n’y voyions pas à 10 mètres. Sur l’ordre des allemands, nous fûmes contraints de quitter notre village. En ce qui nous concerne, nous nous sommes réfugiés dans le Maine et Loire. Début septembre, nous sommes revenus à Gruchy et sur la route du retour, nous avons croisé les américains. Arrivés chez nous, nous avons pu constater qu’il ne restait plus rien. Cette même année en novembre, nous nous sommes mariés.

Thérèse COLIAUX, née PORET
Avait 16 ans et demi en 1944 Habitait la ferme sise 3 Chemin de l’Eglantine

6 juin 1944 – Nous avons été réveillés la nuit vers les 3 heures tant les bombardements étaient forts. II faisait encore nuit mais le ciel était tout illuminé par les tirs de barrage. Nous étions heureux et nous avions peur. Les habitants du quartier (M. et Mme MICHEL et leurs enfants ; M. et Mme LEPAULMIER et leurs enfants) sont venus à la ferme. J’ai pris un crucifix dans la maison et adultes et enfants (y compris les non-croyants) ont prié à l’extérieur au pignon de la maison. J’avais alors 16 ans et demi.

Toute la famille, après avoir récupéré couvertures, bidons de lait et biberons, s’est précipitée dans la tranchée creusée dans la cour de la ferme. Les voisins s’étaient joints à nous. Au total, on y comptait 21 personnes.

Ce 6 juin, nous étions très heureux. Un grand bonheur mêlé de crainte nous envahissait.

Les allemands sont partis le jour du débarquement. Ils étaient installés dans le château de M. et Mme BLIN. Ils s’entraînaient dans le parc pour courir, ramper, faire des pompes. Le règlement paraissait très sévère. Un jeune autrichien qui refusait d’obéir fut tué sur le champ par son supérieur. Il fut enterré dans le cimetière de Rosel. Le corps ne fut relevé que des années plus tard.

Les allemands avaient réquisitionné notre écurie. Ils y logeaient deux chevaux qu’ils venaient soigner tous les jours alors que les nôtres restaient nuit et jour dans un pré le long de la Mue.

Nous avons vu les premiers soldats canadiens dès le 7 juin. J’avais 16 ans et demi, je surveillais mes frères et soeurs qui sortaient de la cour pour se cacher. Et quelle ne fut pas ma surprise en voyant toute une colonne de militaires longeant le mur (Chemin de l’Eglantine) visage noirci, mitraillette au poing. Notre joie a éclaté lorsqu’ils nous ont parlé en français. Nous étions rassurés. (1)

Un avion américain fut touché et prit feu. Le pilote sauta en parachute et tomba dans le pré (chemin du Romelet actuellement). Mon père et M. MICHEL l’aidèrent à marcher (il s’était foulé une cheville) tandis que je ramassais vivement le parachute en vue de pouvoir y faire des combinaisons. Cet américain fut allongé sur la table de la cuisine de la ferme. Quelques instants plus tard, les enfants accouraient annonçant l’arrivée des allemands. Cet américain a été fait prisonnier alors que mon père tentait de le cacher dans une grange. Lucienne POUCHIN qui habitait la ferme de M. BLIN est alors arrivée avec un seau de lait. Les allemands en ont proposé à l’américain puis en ont bu également. Ils avaient faim et soif.

Autre souvenir très clair dans mon esprit : après avoir cuit des oeufs pour les canadiens qui étaient dans la ferme, je fis une grosse omelette pour un autre groupe de soldats qui se trouvaient dans un pré dans le haut du chemin de la Messe. Ils furent heureux lorsqu’ils me virent arriver avec ma poêle et le pichet de cidre. J’étais contente de rendre service.

(1) l’épisode évoqué, à la date du 7 juin, pourrait correspondre à une patrouille avancée ayant procédé à une incursion temporaire sur Rosel sans implantation définitive.

Françoise et Margueritte LE RICQUE
Avaient 28 et 30 ans en 1944 Habitaient la propriété sise 17 Chemin du Clos Joli

La possibilité d’un débarquement en Normandie nous était connue et avait été évoquée dans les échanges familiaux. Plusieurs éléments nous avaient conduits à connaître cette possibilité. Le premier venait des indications d’une personne, Mme de BRUNVILLE, résidant à Vierville sur Mer, qui avait hébergé des membres de commandos britanniques qui se présentaient comme venant reconnaître les plages de la côte normande. Un second résultait d’une conversation avec un lieutenant allemand qui logeait chez nous : en réponse à une question sur l’idée d’un débarquement sur les côtes normandes, il avait paru admettre que la possibilité existait sérieusement. Et puis, un de nos frères avait rencontré, quelques jours auparavant, sur un chantier de travail, un jeune homme qui, se disant membre d’un réseau de résistance, lui avait déclaré que le débarquement aurait lieu en Normandie le 5 juin…..

C’est dire que nous attendions cet événement et notre frère, qui craignait de ne pas se réveiller de lui même, nous avait demandé de le faire, même en pleine nuit, lorsque l’événement se produirait. Dans la nuit du 5 au 6 juin, nous avons été réveillés par le bruit des bombardements sur Caen, auquel s’ajoutait celui plus sourd de la canonnade. Mais, surtout, à la fin de la nuit, les allées et venues des soldats logeant à la maison avec ordres et cris, courses dans les escaliers, bagages faits dans la plus grande bousculade et départ précipité général : c’est cela qui nous a tous convaincus immédiatement que le débarquement avait bien lieu près de chez nous.

Durant la journée du 6 juin, la plupart des gens sont restés chez eux du fait des risques que créaient les tirs d’artillerie et les bombardements. Une tranchée avait été creusée et aménagée dans notre parc, sur les directives de notre père qui avait l’expérience de la Grande Guerre, et c’est dans cette tranchée que nous avons passé les nuits des 6 et 7 juin.

Dans la journée, notre mère a été appelée pour soigner des personnes blessées qui se trouvaient dans la ferme de la Rivière (rue de l’Eglise actuellement) qu’occupaient les parents de Raymond POUCHIN. Je (Marguerite) l’ai accompagnée en passant par les champs car les tirs d’obus ont rendu le trajet difficile : nous avons dû nous abriter â plusieurs reprises. Et dans l’après-midi, nous avons vu arriver trois jeunes femmes ayant fui les bombardements de Caen qu’elles avaient quitté par la rue de Bayeux. Elles ont bénéficié de notre tranchée dès le soir même alors que, malgré tout, elle n’avait pas été conçue pour ce nombre de personnes.

A partir du 8 juin, nous avons quitté notre maison, qui avait déjà été visée par des tirs d’artillerie, pour nous réfugier dans les caves de la propriété de M. et Mme BLIN. Une bonne partie des habitants du bourg de Rosel s’est d’ailleurs retrouvée dans ces caves, les seules qui existaient sur la commune. II y a eu, en comptant les personnes ayant fui Caen, jusqu’à 84 personnes à passer la nuit dans ces lieux…

A compter du 6 juin, aucun soldat ou officier allemand n’était plus cantonné chez nous ou dans le bourg mais, pendant quelques temps, certains éléments sont demeurés présents autour de la propriété de M. et Mme NOISETTE (actuellement Chemin du Ricaras). Quant aux soldats alliés, nous avons aperçu quelques véhicules canadiens dès le 7 juin, passant sur la route de Cairon, en haut de notre « avenue » privée mais sans contact, en fait, avec les soldats qui ne s’arrêtaient pas. Pour ce qui nous concerne, ce n’est que le 11 juin que nous avons eu les premiers contacts avec des soldats canadiens : il s’agissait d’hommes du régiment du New Brunswick arrivés après ceux du régiment de la Chaudière.

L’événement dont nous gardons le souvenir le plus fort concerne la double peur éprouvée dans la cave de la propriété de M. et Mme BLIN où nous nous étions réfugiées. Dans la nuit du 10 au 11 juin – c’est, du moins, la date dont nous croyons nous rappeler – nous entendons des bruits d’allées et venues dans les pièces situées au-dessus de la cave puis des coups frappés à la porte de cette cave. Croyant qu’il s’agissait des soldats anglais, la plupart des occupants manifestent leur joie par des applaudissements et des cris « Vive les Tommies ». La porte s’ouvre, deux soldats, mitraillette à la hanche, s’encadrent et nous découvrons, horrifiés, qu’il s’agissait de deux jeunes soldats SS. Heureusement, notre père parlait allemand et il a engagé la conversation avec eux mais, debout à côté de lui, je me rappelle (Françoise) avoir pensé à ce qu’allait donner une rafale circulaire de mitraillette de l’un des SS tel qu’il était placé. Et, finalement, après quelques minutes de conversation, les deux soldats allemands sont ressortis en ayant cru que c’étaient des applaudissements qu’on leur avait adressés…

Ensuite, au tout début de la matinée, nouvelle grande inquiétude provoquée par de nouveaux déplacements bruyants et des paroles dans la maison. Cette fois, chacun attendait en s’interrogeant sur la qualité des nouveaux arrivants. La porte s’ouvre et, cette fois, c’est la joie : ce sont des soldats canadiens et certains parlent français… Mais ils nous apprendront que c’est en voyant des landaus et des jeux d’enfants dans la maison et autour qu’ils avaient renoncé à tirer ou jeter des grenades dans les ouvertures !

Paulette LUCAS née MICHEL
Avait 5 ans en 1944 Habitait la maison sise 1 chemin de l’Eglantine

Etant donné mon jeune âge à l’époque, les souvenirs sont très confus.

Le 6 juin au matin, en montant dans le château de M. et Mme BLIN, nous apercevions les rougeurs des bombardements sur la côte. Je me souviens d’un parachute qui descendait sur Rosel et lançait des chewing-gums avant d’atterrir. Les allemands, l’ayant vu, l’attendaient à l’atterrissage. A partir de ce jour, nous avons d’abord vécu dans la tranchée de la famille PORET, nos voisins. Ensuite, notre père blessé fut évacué sur Bayeux. Ma mère s’est retrouvée seule et a préparé nos affaires et literie sur une petite remorque pour se rendre dans les caves du château. L’image la plus marquante qui me reste de cette époque est le passage incessant des avions.

Le débarquement pour moi reste un souvenir pas très précis vu mon âge. Par contre, l’annonce de la fin de la guerre fut un moment de joie et de fête. Je me souviens de l’arrivée des canadiens et dans mon esprit, ils portaient des jupes écossaises, des bérets et des cornemuses. Un jeune sergent canadien qui m’a donné une croix et qui portait ma petite soeur dans ses bras devant la porte de notre maison reste gravé dans ma mémoire.

Gilberte LACOUR, née MICHEL
Avait 3 ans et demi en 1944 Habitait la maison sise 1 chemin de l’Eglantine

J’étais bien trop jeune à l’époque pour avoir beaucoup de souvenirs. Le fait le plus marquant qui me reste en mémoire, c’est le cadavre d’un cheval qui avait sauté sur une mine à la pointe de Rosel direction Rots dans le champ de la famille POUCHIN. Un autre souvenir est aussi existant mais celui là, je pense qu’il est dû à mon jeune âge : l’arrivée des canadiens à Rosel. Ils distribuaient du chocolat. Ils étaient dans l’herbage de la famille BLIN. Tous les enfants du village étaient là et, bien sûr, la joie aussi.

Marie-Louise MENEZ, née CATHERINE
Avait 29 ans en 1944 Habitait derrière le 5 de la rue Boulay

Dans la nuit du 5 au 6 juin, j’ai entendu les bruits des bombardements. Je me suis levée et j’ai vu des bombes éclairantes qui illuminaient le ciel. Ce bruit était accompagné de grincements de berceaux, car Madame LANTIER, ma voisine, berçait ses nourrissons afin qu’ils s’endorment. Très rapidement, j’ai pensé au débarquement, tout le monde en parlait et l’attendait. Le jour du 6 juin, j’étais préoccupée par le retour de mon mari qui travaillait à Saint Loup pour la surveillance des voies ferrées.

En effet, mon mari était en Allemagne, et lors d’une permission, il apprit que des hommes étaient recrutés pour la surveillance des voies ferrées à Saint Loup. Afin de retarder son départ pour l’Allemagne et se faire embaucher pour ce travail, il s’est brûlé le bras volontairement avec un chiffon imbibé d’essence. Ainsi, il eut une prolongation de permission de 10 jours (temps nécessaire pour valider son nouveau travail.)

Donc, le 6 juin, mon mari rentra à la maison vers 18 heures. Le 7 juin, avec l’aide de Monsieur DAVID, mon mari alla creuser une tranchée dans le jardin afin de s’y réfugier. Dans cette tranchée étaient réfugiés M. et Mme MENEZ et leur fils, M. et Mme DAVID et leur petit fils et ses parents.

Le vendredi (9 juin), vu l’accalmie, nous sommes sortis de cette tranchée et sommes allés à Lasson. Nous avons rencontré les canadiens. Les allemands ont quitté Rosel entre le 6 et le 10 juin. L’armée canadienne “La Chaudière” était arrivée. Nous sommes restés deux jours à Lasson. Le dimanche (11 juin), nous avons regagné notre domicile. Mon mari n’avait pas de carte de ravitaillement, la nourriture manquait, nous sommes allés au château BLIN récupérer du ravitaillement que les allemands avaient laissé (reste de café, haricots secs… ). Nous allions aussi chez M. et Mme PORET pour acheter du lait.

Fin juin, l’armée anglaise était cantonnée pour le repos dans les champs de M. REMY en face de la maison des LANTIER (1). A ma grande surprise, ces anglais étaient en tenue de pyjama pour dormir le soir dans les tranchées. Lors du retour d’un motard anglais (sans doute de la bataille de Falaise), Jean Claude, mon fils qui avait 23 mois, s’est approché de la moto et a touché le pot d’échappement et donc s’est brûlé la main. Un des anglais nous a conduits, dans sa jeep, au château de Lasson, où l’infirmerie était installée, afin de le soigner.

La promenade la plus longue que j’ai faite au cours de ce mois, ce fut au Calvaire de Rosel, accompagnée du Père BOURDON. A cet endroit, nous avons vu la plaine noire d’engins militaires.

(1) Les champs en cause sont occupés actuellement par l’ensemble des pavillons, y compris la Cave de Rosel, construits entre la Mue et la rue du Clos Joli.

André MICHEL
Avait 9 ans en 1944 Habitait la maison sise 1 chemin de l’Eglantine

Dans la nuit du 5 au 6 juin, vers 11 heures du soir, nous avons entendu des grondements. En sortant, nous avons pu voir comme si l’on peut dire « un feu d’artifice ». Il faut dire qu’à l’époque, j’avais 9 ans et que je garde l’image d’un spectacle féerique.

Les allemands qui occupaient Rosel depuis 1940 ont quitté précipitamment le village dans la nuit. Le lendemain matin, plus aucun allemand ne restait dans la commune. Nous avions compris qu’un événement important se déroulait. Nous étions tous dans l’attente de nouvelles et d’explications. Nous entendions les combats sur Gruchy et Bretteville l’Orgueilleuse mais nous n’avons eu aucune information avant le 11 juin. C’est ce même jour que nous avons vu arriver les premiers alliés dans le parc du château de Lasson. Des canadiens en tenue de camouflage avec des branchages sur eux nous ont interpellés. Ils voulaient savoir si les allemands étaient encore présents. Nous avons traversé le village avec eux. Avant de partir, ils nous ont donné des chewing-gums pour les petits et des cigarettes pour les plus grands.

Le lendemain, le régiment de « la Chaudière » est venu s’installer sur Rosel. Ils sont restés pendant une quinzaine de jours. Cette période avec eux reste un très bon souvenir. La vie n’avait pas été des plus facile les dernières années. Nous avions tout d’abord vécu dans la tranchée de nos voisins, la famille PORET. Ensuite notre père fut blessé et évacué sur Bayeux. Notre mère s’est retrouvée seule avec tous les enfants. Nous sommes donc partis nous installer dans les caves du château de M. et Mme BLIN.

Une division de l’infanterie anglaise est arrivée aussitôt le départ des canadiens. Jusqu’au mois de septembre, nous avons vu dans notre village différentes troupes alliées. Pour moi et mes proches, la fin de cette période d’occupation fut un moment de soulagement tout d’abord pour la nourriture, et surtout de joie.

Yvette RONDELEUX, née PORET
Avait 10 ans et demi en juin 1944 Habitait la ferme sise 3 chemin de l’Eglantine

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, vers 3h30 du matin, un bruit sourd, lointain a réveillé toute la famille. Hâtivement nous nous sommes tous habillés et sommes sortis très inquiets dans la courette. Les vitres de la maison tremblaient de plus en plus fort au fur et à mesure que les heures avançaient. Les voisins, les familles MICHEL et LAPAULMIER, sont venus nous rejoindre dans la courette. Les grandes personnes disaient « nous ne pensons pas qu’ils débarqueront sur les côtes de Normandie » mais vers 7h, il était évident, par le bruit plus marqué et plus proche, que c’était le débarquement.

Le soir du 6 juin, un ballon de protection s’est décroché et du bord de la mer est venu tomber dans le parc du château de Lasson, côté ferme de la famille LE RICQUE. Tous les enfants sont partis en courant pour le voir et j’en ai pris un morceau dans lequel on me fit, plus tard, un capuchon. En rentrant à la maison, nous avons croisé, rue Boulay, un convoi de gros chars allemands qui remontait sur Caen : c’était impressionnant.

Les soldats allemands ont quitté le bourg de Rosel dès le 6 juin sauf quelques uns qui sont demeurés dans le parc de Claude NOISETTE pendant quelque temps. Car, le jour où un aviateur américain est tombé en parachute dans l’herbage de notre ferme – actuellement propriété de M. DECLOMESNIL – ils sont arrivés à 3 ou 4 soldats le faire prisonnier alors que mon père cherchait à l’abriter dans les bâtiments. (1)

Le jeudi 8 juin. comme chaque jeudi, avec ma voisine Marcelle MICHEL, nous sommes allées au catéchisme. Nous n’étions que toutes les deux à la messe de 8 h et vers 8 h 45, des obus sont tombés sur le clocher. Nous avons pris peur et nous sommes sorties en courant dans un épais nuage de poussière provoqué par les plâtres tombant de la voûte de l’église.

J’ai vu les premiers soldats canadiens lors d’une partie de cache-cache avec les enfants MICHEL. Voulant me cacher dans ce qui est aujourd’hui le chemin de l’Eglantine, derrière le mur de la ferme, une surprise m’attendait : une file de soldats canadiens, mitraillettes aux poings, casques couverts de filets et branchages, avançait en longeant le mur. Ils nous ont parlé français et demandé s’il y avait des soldats allemands dans la ferme. Quelques instants plus tard, ils rentraient dans la cour et nous ont distribué des billets remplaçant l’ancienne monnaie puis des bonbons et du chocolat: c’était le bonheur. Les jours suivants nous avons vécu avec eux. Ils s’étaient installés dans les hangars de la ferme ainsi que dans l’herbage attenant (terrain de M. DECLOMESNIL actuellement) où plusieurs canons furent enterrés et camouflés en quelques heures.

De cette période, j’ai toujours en mémoire deux souvenirs très marquants. Le premier concerne la mort tragique de Léon RENOUF, frère d’Edouard BUHOURS, qui fut mortellement blessé dans un champ de betteraves, actuellement herbage occupé par les chevaux de M.TRIBOUILLARD, chemin du Ricaras : je le vois toujours, agonisant sur une civière à l’entrée de la courette de notre ferme (2). Le second concerne le bombardement de Caen le 7 juillet : de Rosel, l’on voyait un plafond de gros bombardiers et des chapelets de bombes tombant sur la ville. C’était plus qu’effrayant.

(1) Cet événement non daté avec précision a nécessairement eu lieu entre le 7 et le 11 juin. (2)- Léon RENOUF mortellement blessé, est décédé le 17 juin 1944 à l’hôpital de Bayeux.